L’époque classique (XVIIᵉ–XVIIIᵉ siècle)

Chapitre 3


Objectif du chapitre

Montrer la naissance de la théorie moderne des nombres premiers, à travers les travaux de Fermat, Euler, et Mersenne.
C’est à cette époque que la recherche mathématique devient à la fois rigoureuse, expérimentale et infiniment féconde.


1. Pierre de Fermat (1601–1665) — le père des conjectures

Avocat de formation, Fermat consacre ses soirées à l’étude des nombres.
Dans sa correspondance avec Mersenne, il jette les bases de ce qu’on appellera plus tard la théorie des nombres.

🔹 Le petit théorème de Fermat

Fermat découvre une propriété fondamentale des nombres premiers :

Si ( p ) est un nombre premier et ( a ) un entier non divisible par ( p ), alors :
[
a^{p-1} \equiv 1 \pmod{p}
]

Autrement dit, lorsque l’on élève un nombre ( a ) à la puissance ( p-1 ), le reste de la division par ( p ) est toujours 1.

💡 Exemple :
Prenons ( p = 7 ) et ( a = 3 ) :
[
3^{6} = 729 \quad \text{et} \quad 729 \div 7 = 104 \text{ reste } 1
]
✅ Donc le théorème fonctionne.

Ce résultat, simple en apparence, est à la base de nombreux tests de primalité modernes et des systèmes de cryptographie RSA.


🔹 Les nombres de Fermat

Fermat s’intéresse aussi à une famille particulière de nombres :

[
F_n = 2^{2^n} + 1
]

Il conjecture que tous ces nombres sont premiers.
Les premiers le sont effectivement :
[
F_0 = 3, \quad F_1 = 5, \quad F_2 = 17, \quad F_3 = 257, \quad F_4 = 65537
]
Mais dès ( F_5 = 2^{32} + 1 = 4294967297 ), Euler découvre qu’il est composé, car :
[
4294967297 = 641 \times 6700417
]

💬 Moralité : même les génies se trompent parfois, mais leurs erreurs ouvrent de nouveaux chemins.


2. Leonhard Euler (1707–1783) — l’architecte de l’arithmétique

Euler, immense génie suisse, unifie les découvertes de ses prédécesseurs et fonde véritablement la théorie analytique des nombres.

🔹 La série harmonique des inverses des nombres premiers

Euler démontre que la série suivante diverge :

[
\sum_{p , \text{premier}} \frac{1}{p} = \frac{1}{2} + \frac{1}{3} + \frac{1}{5} + \frac{1}{7} + \frac{1}{11} + \cdots = \infty
]

Cela signifie qu’il y a une infinité de nombres premiers, et que leur densité, bien que décroissante, ne disparaît jamais.

“La rareté des nombres premiers n’est qu’apparente : leur infinité est une loi naturelle.”
Euler


🔹 L’identité d’Euler — un lien entre arithmétique et analyse

Euler découvre un résultat profond reliant les nombres premiers et la fonction zêta :

[
\zeta(s) = \sum_{n=1}^{\infty} \frac{1}{n^s} = \prod_{p , \text{premier}} \frac{1}{1 – p^{-s}}
]

Cette égalité remarquable relie une somme infinie (analyse) à un produit sur les nombres premiers (arithmétique).
Elle marque la naissance de l’analyse des nombres, discipline qui mènera plus tard à la fameuse fonction zêta de Riemann.

💬 Pour la première fois, les nombres premiers deviennent un objet d’étude analytique, et non plus seulement arithmétique.


3. Les nombres de Mersenne

Un ami et correspondant de Fermat, Marin Mersenne (1588–1648), étudie des nombres de la forme :

[
M_n = 2^n – 1
]

Ces nombres de Mersenne attirent l’attention des mathématiciens, car certains d’entre eux sont premiers.
Par exemple :
[
M_2 = 3, \quad M_3 = 7, \quad M_5 = 31, \quad M_7 = 127
]

Mais tous ne le sont pas.
Mersenne pensait que seuls certains exposants ( n ) donnaient un nombre premier — une intuition qui s’avéra partiellement vraie.

Ces nombres de Mersenne sont essentiels dans la recherche moderne des grands nombres premiers, notamment grâce au test de Lucas-Lehmer et au projet GIMPS.


4. Premiers liens entre nombres premiers et fonctions analytiques

À la fin du XVIIIᵉ siècle, grâce à Euler, les mathématiciens commencent à soupçonner un ordre caché dans la répartition des nombres premiers.

Le comportement de la fonction zêta pour différentes valeurs de ( s ) révèle des structures profondes :
elle agit comme un pont entre les suites de nombres premiers et les lois continues de l’analyse.

“C’est dans le mariage de l’infini et du discret que naît la beauté des nombres premiers.”
Adapté d’Euler

Cette période prépare les découvertes fondamentales du XIXᵉ siècle — celles de Gauss, Dirichlet, et Riemann — qui donneront aux nombres premiers leur cadre théorique définitif.


Pages liées

  • Fermat — Le père de la théorie des nombres et des conjectures.
  • Euler — L’architecte de la fonction zêta et de la pensée analytique.
  • Mersenne — Le découvreur des puissances mystérieuses de 2.
  • Petit théorème de Fermat — La clé des tests de primalité modernes.

Transition vers le Chapitre 4

Le XIXᵉ siècle verra naître la rigueur analytique et la statistique des nombres premiers.
Avec Gauss, Legendre et Dirichlet, la théorie des nombres s’ouvre à l’infini.

➜ Chapitre 4 : XIXᵉ siècle — fondements analytiques et fonction ζ de Riemann